La bienveillance, oui mais encore ?
La bienveillance est une valeur hautement revendiquée par l’Avarap, en particulier en ce qui concerne le fonctionnement des groupes. Il m’est apparu utile de préciser ce que sous-entend ce mot et d’en souligner les limites dans son application.
Analyser, en profondeur, le concept de bienveillance et les comportements qui y sont associés revient, de fait, à s’intéresser au vaste champ des relations humaines.
De manière à offrir un panorama assez complet j’ai adopté le plan suivant :
1. Le concept de bienveillance
2. La bienveillance dans la société civile
3. La bienveillance en entreprise
4. L’impact d’Internet et des nouvelles technologies
5. La bienveillance à l’Avarap
1. Le concept de bienveillance
La définition du mot est assez claire : « Capacité à se montrer indulgent, gentil et attentionné envers autrui d’une manière désintéressée et compréhensive. Antonyme : agressivité, dédain, hostilité. »
Si l’on creuse un peu plus cependant on découvre qu’il s’agit d’un concept plus complexe qu’il n’y parait. En témoigne le nombre des mots assimilés, souvent à tort, à des synonymes de la bienveillance : affabilité, altruisme, amabilité, empathie, bienfaisance, bon accueil, bon vouloir, bonne volonté, bonté, charité, clémence, compréhension, condescendance, cordialité, douceur, compassion, commisération, générosité, gentillesse, humanité, indulgence, magnanimité, mansuétude, ouverture d’esprit, prévenance, sympathie, tolérance …
Parmi les éléments associés à ce concept multiforme on peut citer : l’empathie ; l’assertivité et la communication non-violente.
L’empathie est le chemin naturel qui mène à la bienveillance, mais pas toujours. Comme le rappelle le docteur Cédric Lemogne, psychiatre à l'hôpital Georges Pompidou : « L'empathie ne se limite pas à un phénomène de résonance émotionnelle. Trois autres processus interviennent : une prise de perspective, pour se représenter l'état mental d'autrui, une régulation émotionnelle pour ne pas se laisser submerger par les émotions de l'autre, et une capacité de distinguer soi d'autrui pour partager l'émotion de l'autre en sachant qu'il n'est pas soi-même. »
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, membre de l'Académie des technologies, auteur d’un livre intitulé « Empathie et manipulations » (avril2017) apporte quelques précisions : « Si l’empathie est bien la capacité de percevoir les états mentaux de l’autre, elle n’est pas la tendance à s’en préoccuper. »
Tout d’abord, l’empathie n’est ni la sympathie, ni la compassion ni l’identification. Dans la sympathie, on partage en effet non seulement les mêmes émotions, mais aussi les valeurs, les objectifs et les idéaux de l’autre. C’est ce que signifie le mot « sympathisant ». La compassion, elle, met l’accent sur la souffrance. Elle est inséparable de l’idée d’une victime et du fait de prendre sa défense contre une force hostile, voire une agression humaine. Son principal danger est qu’elle fait peu de place à la réciprocité, et s’accompagne même parfois d’un sentiment de supériorité. Enfin, l’identification n’est que le premier degré de l’empathie, qui en comporte trois.
Le premier de ces étages est l’empathie directe (ou unilatérale). Elle correspond à ce qu’on appelle plus couramment identification.
Le second étage de l’empathie est l’empathie réciproque. C’est le fait de traiter autrui comme soi. Enfin, le troisième étage de l’empathie est l’intersubjectivité. Elle consiste à reconnaître à l’autre la possibilité de m’éclairer sur des aspects de moi-même que j’ignore.
L’empathie peut être utilisée à des fins mercantiles : séduire pour vendre ; cela me rappelle un proverbe arabe : « Il faut caresser la vache avant de la traire »!
Pour être bienveillant il faut, tout d’abord, être en paix avec soi-même, avoir une bonne estime de soi et maitriser ses émotions sans les refouler. (Confer intelligence émotionnelle). Plus on est bienveillant avec soi, plus on s’accepte et on accepte les autres facilement.
Comme on le répète souvent à l’Avarap la bienveillance ne doit pas se confondre avec la complaisance.
Face à un comportement ouvertement déviant, ne respectant pas les règles élémentaires qui doivent présider aux rapports humains pacifiés la bienveillance n’a plus de raison d’être au risque de se transformer en complaisance. Quelle est donc la bonne attitude ?
Le concept d’assertivité répond avec pertinence à cette question. Il y a trois attitudes en situation difficile ou bloquée : la passivité, l’agressivité, la manipulation et l’assertivité qui consiste à s’affirmer dans respect de l’autre. Ce qui suppose être ouvert, à l’écoute et essayer de trouver les mots justes pour émettre une vérité parfois difficile à entendre.
Être bienveillant c’est aussi connaître ses limites et ses valeurs, pour rester fidèle à soi-même et aux autres. La bienveillance c’est chercher à comprendre et comprendre ne veut pas dire excuser. Mieux vaut une vérité sincère rude qu’une bienveillance molle, sorte de paresse teintée de compassion.
Le troisième élément apte à faciliter la bienveillance est la communication non violente. La communication non violente s’attache à instaurer entre les êtres humains, des relations fondées sur une coopération harmonieuse, sur le respect de soi et des autres. Théorisée par Gandhi, apôtre de la non-violence, cet outil de communication verbale est recommandé pour la résolution de conflits et permet de développer une meilleure relation à soi.
Développée aux Etats-Unis dans les années 1960, par le docteur Marshall Rosenberg, la communication non violente s'inspire fortement des travaux de Carl Rogers (1902-1987), dont il a été l'élève.
La communication non violente donne d’utiles indications :
- Accueillir les faits sans les interpréter ce qui pourrait conduire au jugement.
- Apporter de la sérénité dans ses rapports avec les autres.
- Développer des relations saines, basées sur la confiance, l’entraide, le soutien et le respect.
- Penser à féliciter pour les réussites même modestes.
La bienveillance est donc une discipline, un art de vivre et une philosophie.
2. La bienveillance dans la société civile
La bienveillance ne se limite pas à bannir toute forme d’agressivité dans nos rapports avec les autres. Individualisme et esprit consommateur ne la favorisent guère. Si la bienveillance n’est pas associée aux valeurs fondamentales du respect de soi et des autres, de l’empathie et de la tolérance elle risque fort de n’être qu’une posture comportementale assez superficielle.
Politesse et courtoisie peuvent être considérées comme une première approche de la bienveillance il s’agit d’un comportement régi par des règles ayant pour but de faciliter la vie en société ; un premier pas pour une relation humaine équilibrée. Chacun a pu observer qu’il suffit, le plus souvent, d’un sourire ou d’une parole aimable pour installer une relation apaisée. A contrario une remarque ironique, a fortiori d’une parole malveillante gâchent la journée d’une personne.
La bienveillance est largement revendiquée dans toutes les sphères de la vie en société en particulier dans le milieu médical, scolaire et dans l’entreprise. Avec un succès inégal il faut bien le reconnaître.
Mais lorsque la bienveillance risque de pencher vers la complaisance il est recommandé d’adopter une autre attitude. Je suis de ceux qui pensent, lorsque cela parait nécessaire, qu’il est important de dire les vérités les plus dures à nos meilleurs amis. Nous sommes, en effet, les seuls à pouvoir le faire sans les blesser ; dans un climat de respect mutuel et de confiance réciproque. La bienveillance n’est pas une valeur reconnue en politique.
Sur le plan géopolitique, le repli nationaliste de plusieurs pays, en particulier le premier d’entre eux les Etats-Unis, représente, en quelque sorte, la version amplifiée de l’individualisme. Tout ceci s’accompagnant souvent d’une certaine forme d’agressivité, tout le contraire de la bienveillance.
3. La bienveillance en entreprise
« Le manager bienveillant crée les conditions de la confiance, de la cohésion, de l’esprit d’équipe, sans lesquels il n’y a pas de performance optimale. » La bienveillance fonctionne tant que les entreprises fleurissent, ou que les salariés se serrent les coudes autour d’un leader charismatique et entreprenant. Mais peut-on transposer cette dynamique d’équipe conquérante aux grandes entreprises, aux administrations ou aux entreprises en difficulté ?
Voici comment répond Jean-François Dortier, sociologue français fondateur et directeur de la publication du magazine Sciences humaines dans un article « La bienveillance en entreprise, mythe et réalités (2017) » : « De fait, comment parler de bienveillance quand la pression sur le travail est devenue si forte que l’on voit partout des réductions de personnels, une précarisation de l’emploi, une augmentation du stress et un boom du burn-out ? Dans un tel contexte, l’appel à la bienveillance a quelque chose de décalé, voire d’indécent. Mais, rétorquent ses défenseurs, c’est justement parce que les temps sont durs qu’il faut s’employer à adoucir les relations de travail autant que faire se peut. La bienveillance n’est pas une philosophie chamallow de gentils idéalistes, c’est au contraire un devoir pour les managers qui exigent beaucoup de leurs salariés. Ce n’est pas une berceuse illusoire dans un monde idéal, mais plutôt une exigence humaine face à la dureté des temps. Les principes de bienveillance sont au fond très simples : promouvoir l’attention à autrui, veiller à la qualité des relations personnelles et aux bonnes conditions de travail pour chacun. »
Compte tenu de l’impact des nouvelles technologies, d’une concurrence mondialisée, de la prédominance des résultats financiers à court terme, de la pression d’un temps raccourci… tout cela rend difficile l’installation d’un climat de confiance, première condition pour un management bienveillant et occasionne une perte de sens du travail de chacun. Il est devenu plus difficile de trouver le juste équilibre entre engagement professionnel et vie privée. Dans ce contexte l’apparition de « Chiefs Happiness Officers » dans certaines entreprises laisse pour le moins perplexe…
4. L’impact d’Internet et des nouvelles technologies
L’assertivité et la bienveillance ne sont pas le domaine privilégié d’internet. Force est de reconnaître qu’une bonne partie des messages diffusés sur les réseaux sociaux via Twitter, Facebook, Instagram, WhatsApp… relèvent généralement plus de la malveillance que de la bienveillance. Cela contribue à propager une sorte de pollution morale. C’est ainsi, par exemple, que le harcèlement scolaire via les réseaux sociaux est devenu une préoccupation à l’échelle nationale.
L’interdiction d’échanger des mails dans un groupe Avarap (à l’exception de données factuelles) semble être une sage mesure.
Par ailleurs, la diffusion massive d’images, autrefois considérées comme ne devant pas être montrées car trop choquantes, a pour effet d’user notre capacité de compassion. Plusieurs faits divers ont montré que certains préféraient prendre une image d’une personne en danger plutôt que de la secourir.
Internet et le syndrome du corbeau : grâce à l’anonymat rumeur et délation sont à la portée de tout un chacun.
Les vérités qui dérangent sont souvent ignorées ou carrément bafouées. L’avènement des « fake news » doit son succès aux formidables capacités d’internet : un mensonge partagé par 10 000 analphabètes a plus de force qu’une vérité proclamée par 50 experts.
L’intelligence artificielle va changer le monde, nous dit-on : de la santé à la mobilité en passant par l’éducation ou la sécurité publique, la capacité des machines à imiter la cognition humaine est déjà en train de transformer de nombreuses activités humaines. Or, les personnes impliquées dans cette révolution ne ressemblent pas franchement à la société qu’elles sont censées transformer.
6. La bienveillance à l’Avarap
Les groupes Avarap offrent à leurs membres un havre de paix ou ils peuvent se ressourcer à l’abri des agressions extérieures. Cela concerne un ensemble d’éléments qui sont encore, trop souvent, absents dans beaucoup d’entreprises : développer un sentiment de confiance, donner de la reconnaissance, favoriser l’autonomie, la prise d’initiatives, le travail d’équipe, une éthique de responsabilité …
On peut ajouter la pratique de l’humour et non de l’ironie. L’humour facilite la prise de distance et le plaisir d’être ensemble. Il fait baisser les tensions et permet de relativiser.
Du latin bene volens la bienveillance (auquel se rattache le mot bénévole) est « une disposition d’esprit visant au bien, au bonheur de l’autre ». Nul doute que tous les bénévoles de l’Avarap soient naturellement attachés à la pratiquer dans toutes leurs activités.
Je laisse à Christophe André le mot de la fin : « La Bienveillance c’est voir le bien chez les autres et aussi vouloir leur bien. C’est porter sur le monde un regard amical : ne jamais perdre de vue ce qu’il y a de bon, de fragile, de touchant chez les humains. Ne pas s’arrêter à ce qui agace ou ce qui déçoit, mais aller au-delà. La bienveillance, c’est le regard qui transperce la carapace des mauvaises manières et des sales habitudes, des défenses et des provocations, pour aller au cœur des autres et de leur fragilité. Elle déblaye les oripeaux de la souffrance ou des croyances dont les humains s’affublent pour paraître forts ou malins. La bienveillance est une décision existentielle : celle de s’avancer vers la vie avec le désir de voir ses bons côtés. Pas que ses bons côtés, mais d’abord ses bons côtés. »
Claude Génin, novembre 2018
Créer des robots pour le bien-être des humains
« Nous voulons donc que soit réaffirmée la souveraineté première de la personne humaine, le robot devant lui rester subordonné dans l'interactivité des tâches de santé, des actions domestiques et professionnelles, sans jamais être mis en capacité intellectuelle, technique et juridique de l'asservir et de le détruire. Nous demandons à ce que les algorithmes intègrent des apprentissages bienveillants et bannissent tous apprentissages hostiles à la personne humaine. Nous demandons l'interdiction totale et universelle du développement des robots militaires et tueurs autonomes.
Nous demandons que tout robot soit muni d'un système d'alarme et d'autodestruction en cas de divagation ou de dysfonctionnement, afin de ne pas prendre le contrôle sur l'humain. »
Publié par Etats généraux de la bioéthique, le 31 janvier 2018